Réflexion sur les facteurs explicatifs de la performance des PME marocaines : Résultats d’une étude exploratoire
BICHRA Assia
Laboratoire de Recherche en
Management et Entrepreneuriat (CRME)
Ecole HEEC – Marrakech
EZZIADI Abdelali
Groupe de Recherche en Gestion des Organisations
(GREGO)
ENCG Marrakech, UCAM
Pr. OUHADI Saïd
Groupe de Recherche en Gestion des Organisations
(GREGO)
ENCG Marrakech, UCAM
Résumé :
Les Petites et Moyennes entreprises (PME), représentant plus de 98% du tissu économique du Maroc (CGEM, 2014), jouent un rôle très important dans le développement socioéconomique du pays (Bentaleb et Louitri, 2011, Sadeq, 2013). Toutefois, les statistiques officielles montrent que le taux de mortalité de ces entreprises devient de plus en plus alarmant (Achour, 2014). Cette situation nous a interpellés en tant que chercheurs dans le domaine des PME.
Ainsi, nous nous interrogeons sur les facteurs qui expliquent la performance ou la contreperformance de certaines PME, tout en mettant l’accent sur la dimension subjective de ce concept polysémique et complexe et outils et indicateurs qui servent à son suivi. A cet effet, nous avons menés une étude qualitative à visée exploratoire auprès de six propriétaires-dirigeants des PME opérant dans des secteurs différents. Les résultats de cette étude soulèvent des perceptions multiples de la performance et une utilisation moins formalisée des outils de suivi et des indicateurs de performance.
Mots clés : Performance, PME, Perceptions, indicateurs, Propriétaire-dirigeant, Outils.
Abstract:
Small and Medium Enterprises (SMEs), representing more than 98% of Moroccan enterprises (CGEM, 2014), play a very important role in the country’s socioeconomic development (Bentaleb and Louitri, 2011, Sadeq, 2013). However, official statistics show that the mortality rate of these enterprises is becoming increasingly alarming (Achour, 2014). This has challenged us as researchers in the SME field. Thus, we question the factors that explain the performance or underperformance of some SMEs, while emphasizing the subjective dimension of this ambiguous and complex concept and the tools and indicators used to manage it.
For this end, we conducted an exploratory qualitative study with six owners-managers of SMEs of different sectors. The results of this study raise multiple perceptions of performance and less formalized use of performance indicators and tools.
Keywords: Performance – SME – Perceptions – Indicators – owner-manager – tools.
INTRODUCTION
Etre performant dans un environnement marqué par des changements remarquables à tous les niveaux (démographique, culturel, réglementaire, technologique, financier…) est l’objectif, non seulement de toute entreprise, mais de tout individu. En l’absence de statistiques officielles, les chiffres publiés par le cabinet spécialisé dans le renseignement commercial « INFORISK » concernant le nombre des faillites d’entreprises au maroc, sont alarmantes ; il est de 5.783 entreprises en 2015, soit une augmentation de 15% par rapport à 2014.
La faillite est un phènomène qui concerne, à des degrés variés, les PME et les grandes entreprises. D’ailleurs, 85% des entreprises qui ont fait faillite sont des PME. La faillite de ces entreprises s’explique, selon les chercheurs, par plusieurs facteurs à la fois endogènes et exogènes (Bentaleb et Louitri, 2011) : gestion financière, innovation, marketing, qualité et gestion des ressources humaines. En effet, les impayés et les difficultés de recouvrement sont les pricipales causes (25%), selon DOUIEB Youssef, Directeur Général-Adjoint de Euler Hermès Maroc.
Dans un premier temps de recadrons notre objet de recherche à travers des éléments clés du contexte de la recherche ce qui nous permettra de bien délimiter notre problématique. Celle-ci nous aménra dans un deuxième temps à présenter la revue de littérature sur les concepts clés de cet article à savoir la PME et la performance. Ensuite, nous aborderons les facteurs susceptibles d’influencer la performance de ces entreprises pour en finir par l’exposé des outils et indicateurs empiriquement testés dans le contexte des PME.
Contexte général de la recherche
Le poids des PME, à travers le monde n’est plus à démontrer tant sur le plan économique que social (Savajol, 2003 ; Mabarch, 2007 ; Karim, 2014 ; Ezziadi et Ouhadi, 2014). Cette importance fait des PME « un véritable objet de recherche scientifique » (Marbach, 2007). Au Maroc, elles représentent plus de 95% du tissu économique avec des contributions significatives dans la création de la valeur ajoutée, la promotion de l’emploi, la valorisation des exportations et la contribution à la formation brute du capital fixe. Toutefois, le taux de mortalité de cette catégrie d’entreprise attire la sonnette d’alarme. En 2015, le nombre des entreprises radiées s’élève à 3926 et 5839 entreprises sont entrées dans la phase de dissolution. En outre, le rapport « Economic Outlook » d’Euler Hermes (Une société d’assurance-crédit internationale) note une augmentation des défaillances de sociétés
Problématique de la recherche :
La performance des PME dépend aussi bien des facteurs endogènes qu’exogènes. Par consèquent, les outils et les indicateurs utilisés pour mesurer cette performance sont étroitement liés à la définition et à l’ordre de ces variables. Sous cet angle d’analyse, nous cherchons à comprendre comment la performance des PME est construite. Cela forme la base de notre problématique qui est composée de trois principales questions :
- Comment les propriétaires-dirigeants définissent-ils la performance ?
- Quels en sont les facteurs explicatifs ?
- Sur quels outils et indicateurs s’apuient-ils pour la mesurer ?
1. REVUE DE LITTERATURE SUR LA PME ET LA PERFORMANCE: DEUX CONCEPTS A INTERPRETATIONS MULTIPLES ET VARIEES
-
Caractéristiques et spécificités des PME
La PME est une notion qui voile un monde d’entreprises très hétérogène. D’ailleurs, les auteurs s’accordent pour dire qu’il « n’existe pas de définition unifiée de la PME» (Benaicha, 2012). Partant de cette polysémie, les chercheurs en Petite et Moyenne Entreprise recourent, pour la définir, à deux approches complémentaires (Julien, 1994 ; Wtterwulghe, 1998 ; Chezuriana and Rapiah, 2015, Courrent et Quariel-Lanoizelée, 2012). La première approche, dite quantitative, consiste à mobiliser des critères mesurables pour établir une classification des entreprises. Communément, trois critères sont retenus par les chercheurs et les praticiens pour distinguer les PME des grandes entreprises d’une part, et les différentes catégories des PME d’autre part: l’effectif, le chiffre d’affaires et le total du bilan (Commission européenne, 1996, 2003). Au Maroc, L’article 1er de la loi n° 53-00 formant la charte de la petite et moyenne entreprise définit la PME comme étant « toute entreprise gérée et/ou administrée directement par les personnes physiques qui en sont les propriétaires, copropriétaires ou actionnaires, et qui n’est pas détenue à plus de 25% du capital ou des droits de vote par une entreprise ou conjointement par plusieurs entreprises en correspondant pas à la définition de la PME. […] en outre les PME doivent répondre aux conditions suivantes : pour les entreprises existantes, avoir un effectif permanent ne dépassant pas deux cents personnes et avoir réalisé, au cours des derniers exercices, soit un chiffre d’affaires annuel hors taxesn’excédant pas soixante-quinze millions de dirhams, soit un total de bilan annuel n’excédant pas cinquante millions de dirhams ».
Les limites et les insuffisances des critères quantitatifs ont poussé les chercheurs à faire ressortir des spécificités sur plusieurs plans. Ainsi, Julien (1994, p.28) divise les typologies qualitatives en quatre grands groupes. Un premier groupe s’appuie sur le type d’origine ou de propriété de l’entreprise, un deuxième introduit les stratégies et les objectifs de la direction, un troisième se base sur l’évolution ou le stade de développement ou d’organisation de la firme et, enfin un groupe qui touche au secteur ou au type de marché dans lequel elle évolue. En effet, les PME se caractérisent, essentiellement, par un manque ou une insuffisance du personnel qualifié, une gestion à court terme, un manque d’expertise technique (Barry et Milner, 2002), un capital insuffisant (Raymond, 2001) et un faible pouvoir de négociation avec les parties prenantes. Toutefois, le rôle central du propriétaire-dirigeant et son forte implication dans le processus managérial, et plus largement dans le système de pilotage de la performance, demeure une des principales caractéristiques des PME (Spence, 1999).
Si la définition de la PME varie d’un pays à un autre, et dans le même pays d’un secteur à un autre, le deuxième mot clé de notre problématique, à savoir la performance, n’est pas pour autant assez clair. Ainsi, La deuxième section de cette première partie de notre travail s’intéressera aux approches conceptuelles du concept de la performance.
1.1. La performance, un concept polysémique et multidimensionnel
Certes, la performance est l’un concept largement utilisés tant par les individus que par les organisations. Toutefois, les travaux, même nombreux (Bouquin, 1986 ; Bescos et al.1993; Bourguignon, 1995 ; Lebas, 1995 ; Bessire, 1999 ; Louitri et Bentaleb, 2011 ; Ezziadi et Ouhadi, 2015 …), n’ont pas encore pu définir ce concept unanimement (Bourguignon, 1995). L’absence d’une définition universelle du concept de la performance s’explique par, entre autres, son utilisation par des disciplines variées (sociologie, économie, médecine, droit, sport,…) et la diversité des représentations sociales de ceux qui le définissent. Du fait, nous allons tentés, à travers cette première partie de ce travail, de reprendre quelques définitions de la performance, tout en mettant l’accent sur le rôle que jouent les représentations pour la définir.
L’étymologie constitue le point de départ pour définir tout concept. La performance vient du « parformer » qui signifiait “ accomplir, exécuter ” (Petit Robert). Au XV° siècle, il apparaît en anglais avec « to perform » dont vient le mot de performance. Il signifie à la fois accomplissement d’un processus, d’une tâche avec les résultats qui en découlent et le succès que l’on peut y attribuer.
En gestion, la performance a toujours été une notion ambiguë. Elle n’est utilisée en contrôle de gestion que par transposition de son sens en anglais. L’une des définitions les plus utilisées par les chercheurs est celle de Bourguignon (2000). Elle l’a défini comme étant « la réalisation des objectifs organisationnels, quelles que soient la nature et la variété de ces objectifs. Cette réalisation peut se comprendre au sens strict (résultat, aboutissement) ou au sens large du processus qui mène au résultat (action)….». Cependant, en pratique, ce concept demeure toujours flou et multidimensionnel et son sens dépend de plusieurs variables contextuelles. Dans le contexte des PME, le profil du propriétaire-dirigeant et son système de valeurs sont les facteurs principaux qui dessinent le schéma de la performance. D’ailleurs, en l’absence d’un consensus sur ce qui est la performance, Salgado (2013) note qu’elle « reste une affaire de perception et…tous les acteurs n’ont pas la même perception de la performance ».
Plus encore, la transposition de ce concept au contexte marocain revêt plusieurs acceptions. Effectivement, Lahouirich, Abdoulatif et Ouhadi (2015) notent quelques termes qui sont proches du concept de performance : TAALOUQ (تألق), TAMAYOUZ (تميز), TAFAWOOK (تفوق), NAJAH (نجاح), FAWZ (فوز), FALAH (فالح), TAWFIQ (توفيق). En se référant à quelques dictionnaires de la langue arabe (TAJ EL AAROUS, LISSAN EL ARAB, MOKHTAR SIHAH, EL MOAAJAM EL WASSIT) nous avons constaté que chaque terme a plusieurs significations.
En se référent à ce qui est annoncé plus haut, nous pouvons souligner que la performance est un concept qui est, en plus de son aspect objectif basé sur des indicateurs chiffrés, elle est aussi subjective et dépend du contexte et de la personne qu’elle l’utilise.
Après avoir présenté quelques facettes des deux concepts clés de notre travail, nous consacrons la deuxième partie de notre travail pour l’étude des facteurs qui contribuent à l’explication de la performance des PME.
2. FACTEURS EXPLICATIFS DE LA PERFORMANCE DES PME
La performance des entreprises n’est pas seulement un objet central dans les sciences de gestions, mais aussi un phénomène complexe et multidimensionnel.
La PME se distingue de la grande entreprise par un manque chronique de ressources (Drummond et Chell, 1994 ; Khalifé, 2014). Cette caractéristique justifie de plus le fait que la réussite de la PME s’explique moins par la structure de marché, mais par la manière dont elle combine ses ressources matérielles, financières et immatérielles (Bounfour, 2011, p.7). Le manque des ressources pousse les propriétaires-dirigeants de ces entreprises, qui souhaitent assurer la survie et la pérennité de leurs entreprises, à développer des capacités significatives en termes de gestion des ressources dont elles disposent. D’une manière générale, il existe plusieurs facteurs qui peuvent expliquer la performance d’une PME. Ils peuvent être internes et externes (Figure 01). Le corpus théorique ayant tenté d’expliquer la relation entre ces facteurs et la performance des entreprises est assez large. La théorie de contingence, la théorie des contraintes, la théorie d’agence, la théorie d’asymétrie informationnelle, la théorie de Modigliani et Miller sur la structure financière ne sont que des exemples (Ezziadi et Ouhadi, 2016).
Figure 01: Les facteurs qui influencent la performance des entreprises
Source : Robichaud et McGraw (1997, p.42)
2.1. Caractéristiques de l’environnement
Par définition, l’environnement est « l’ensemble des acteurs sociaux dont les comportements conditionnent plus ou moins directement la capacité de l’organisation de fonctionner satisfaisante et d’atteindre ses objectifs » (Crozier et Friedberg (1977). L’environnement dans lequel opèrent les PME n’est pas neutre pour leurs performances. Cet environnement est constitué de dix composantes (Meunier, 2007, p.42) : économique, démographique, politique, humaine, médiatique, financière, juridique, technique et scientifique, sociale, et commerciale. Certes, le degré d’influence de chaque composante diffère de l’autre et varie entre influence favorable, défavorable et même neutre. Les caractéristiques organisationnelles (Julien, 1990 ; Julien et Marchesnay, 1988) et stratégiques (Saporta, 1997) des PME font que celles-ci disposent de ressources très limitées. Du fait, elles subissent les changements de leur environnement plus qu’elles ne le structurent à leur profit (Gueguen, 2001). Par conséquent, un environnement hostile est considéré dangereux pour les PME (Covin et Slevin, 1989).
2.2. Caractéristiques du processus
L’analyse du processus nous amène à se poser la question sur la relation entre les variables organisationnelles et la performance des PME. La PME se distingue de la grande entreprise sur plusieurs aspects. La structure organisationnelle aplatie permet aux PME une certaine flexibilité et une rapidité dans l’adaptation aux changements de l’environnement. Toutefois, la proximité entre le propriétaire-dirigeant et les collaborateurs d’une part, et de l’entreprise et son environnement d’autre part peuvent influencer la performance des PME (Boukar et Soukiwai, 2015). Outre la proximité, la PME se caractérise par une rareté des ressources tant matérielles et humaines que financières. Cela entrave les PME d’opter pour des stratégies de croissance et se contente d’assurer leur survie en se basant sur ce qu’elles ont.
2.3. Caractéristiques de l’entreprise
L’influence de l’entreprise sur sa performance peut être appréciée à travers plusieurs variables. Nous citons son âge, sa phase de développement, son chiffre d’affaires, le taux de croissance, etc. Une PME moins âgée est souvent caractérisée par l’inexpérience (Stinchcombe, 1965, cité par Charlier et Lambert, 2009), le manque des ressources (Slack resources). Ces deux variables agissent sur la survie des PME jeunes ; le taux de mortalité des entreprises jeunes et petites tailles est élevé (Hannan et Freeman, 1977). En chiffres, d’après le baromètre de l’OMPIC, sur 3105 entreprises radiées en 2016, 52% de ces entreprises ont moins de 5 ans (84% ont moins de 10%). En outre ces entreprises sont soit des SARL (56.4%) ou des SARLAU (40.3%). Plus encore, les problématiques liées à la rareté des ressources et au manque des compétences peuvent expliquer la répartition sectorielle des entreprises créées ; seulement 10% des entreprises s’orientent vers les secteurs lourds, notamment l’industrie.
En plus de la taille, Julien et Marchesnay (1988) identifiaient d’autres caractéristiques : centralisation et personnalisation de la gestion, faible spécialisation du travail, stratégie intuitive ou peu formalisée, forte proximité des acteurs, système d’information interne simple et peu formalisé, système d’information externe simple basé sur les contacts directs.
2.4. Caractéristiques de l’entrepreneur
Si les trois premiers facteurs jouent un rôle capital dans la performance des entreprises, la contribution de l’entrepreneur à la survie, à la croissance et à la performance de la PME est cruciale (Degeorge et al., 2015, p.5). Ce constat assez large nécessite plus d’approfondissements. Ainsi, quels sont les caractéristiques de l’entrepreneur qui influencent favorablement ou défavorablement la performance de la PME ? La réponse à cette question suscite une distinction entre trois familles de variables pour les propriétaires-dirigeants (Ivanaj et Géhin, 1997) : Les caractéristiques individuelles de l’entrepreneur, les valeurs culturelles de l’entrepreneur, et les variables entrepreneuriales de l’entrepreneur.
3. SYSTEMES DE MESURE DE PERFORMANCE DES PME : OUTILS ET INDICATEURS
Au-delà l’approche conceptuelle et opérationnelle de la performance, celle-ci pose aussi un probléme de mesure. Les outils et les indicateurs de mesure de la perfomance demeurent une source d’un grand débat (Bergeron, 2000 ; Lahouirich, Abdoulatif et Ouhadi, 2015). Théoriquement, nous distinguons deux approches complémentaires pour la mesure: une approche objective basée sur des données quantitatives telles que le taux de croissance du chiffre d’affaires, les rations de la rentabilité, les flux nets de trésorerie et une approche subjective qui s’appuie sur les perceptions des propriétaires-dirigeants de la notion de performance.
Partant de la thèse centrale de la théorie de contingence qui repose sur l’idée qu’il n’existe par de principes universels de gestion (Boisselier, 2013, p.84), l’objectif de ce travail, est de comprendre le système de mesure de performance utilisé par les propriétaires-dirigeants des PME et d’en évaluer la cohérence par rapports aux objectifs attendus et aux perceptions de performances formulées.
Les travaux sur les systèmes de mesure de la performance font ressortir plusieurs modèles de mesure de la peroformance. Nous citons à ce niveau les cinq principaux modèles mobilisés dans les travaux que nous avons consulés : La pyramide de Lunch et Cross (1991), La matrice des déterminants et des résultats de Fitzgerald et al. (1991), Le balanced Scorecard (1992), Le modèle de Morin, Savoie et Beaudin (1994) et Le modèle d’Atkinson, Waterhouse et Wells (1997).
Dans le contexte des PME, nous assistons à une prédominance de la dimension financière sur les indicteurs utilisés. Plus encore, les propriétaires-dirigeants des PME sont très proche des opérationnels , ce qui justifie le rôle capital de la supervision directe et l’ajustement mutuel (Mintzberg, 1988) dans la mesure de la performance. Le système de mesure est souvent qualifié de simple et fiablement structuré, fondé sur la communication orale et l’appréciation sur terrain (Rharmili, 2007).
4. DEMARCHE METHODOLOGIQUE
Afin de répondre à notre problématique, nous nous sommes inscrits dans une démarche qualitative exploratoire. L’étude est menée auprès des propriétaires-dirigeants de six PME situées à Marrakech. Nous avons utilisés un guide d’entretien semis-directif formé de trois volets et six questions, qui sont complétées au moment de l’entretien, selon les situations, par des questions de compréhension ou de relance. Se limiter à trois questions est bien voulu pour pouvoir saisir les représentations sociales des propriétaires-dirigeants et d’éviter des réponses confirmatoires. Les discours ont été enregistrés à l’aide d’un dictaphone. Ensuite, nous en avons fait la retranscription. Pour l’analyse des données recueillies, vu le nombre restreint des entretiens, nous avons opté pour une analyse manuelle des discours. Le tableau suivant reprend le profil des PME de notre étude.
Entreprises |
Secteur d’activité |
Effectif |
Age de l’entreprise |
A |
Architecte |
7 |
35 |
B |
Hôtellerie |
12 |
6 |
C |
Menuiserie |
35 |
30 |
D |
Hébergement |
10 |
5 |
E |
Imprimerie |
35 |
52 |
F |
Ameublement |
130 |
16 |
Le choix d’entreprises appartenant à des secteurs d’activités différents (et parfois reliées) est motivé par une volonté de comprendre quelques particularités sectorielles.
5. DISCUSSION DES RESULTATS ET CONTRIBUTIONS POTENTIELLES
Les objectifs du présent travail sont triples. Premièrement, nous cherchons à comprendre les perceptions qui font les propriétaires-dirigeants des PME de la performance. Car, c’est cette perception qui détermine les objectifs à poursuivre et les outils et indicateurs à mettre en place pour la suivre. Deuxièment, nous objectivons l’étude des facteurs qui contribuent à la performance de celles-ci et comment ces facteurs diffèrent d’un secteur à un autre. Troisièment, une fois la performance de la PME est définie et les facteurs explicatifs sont arrêtés, nous tenterons d’élucider les outils et indicateurs mis en place pour assurer son pilotage. La présentation de résultats se fera sur trois volets : Perceptions de la performance, Facteurs explicatifs, et outils et indicateurs de pilotage.
5.1. Des perceptions multiples de la performance
Entreprise A : Le concept de la performance est perçu par le cabinet d’architecture « A » comme l’atteinte des résultats escomptés avec le respect des normes en vigueur. Le propriétaire-dirigeant annonce que « la performance pour moi est étroitement liée à l’image et à la notoriété de mon entreprise ». Cette représentation de la performance est centrale pour le propriétaire-dirigeant dans la mesure où il essaie de montrer son importance à sa fille (une transmission est entamée entre le père et sa fille). En outre, « je ne cherche pas seulement être attributaire de plusieurs marchés, mais de veiller dans la réalisation de chaque marché au respect des règles de l’art »
Entreprise B : Quant à la propriétaire-dirigeante de la PME « B », elle considère que la performance est « la réalisation d’un bon chiffre d’affaires qui dépasse celui de l’année précédente ». En outre, elle accorde plus d’importance à la satisfaction de ces clients : « Je m’intéresse au personnel pour garantir des bonnes relations avec les clients et une bonne qualité de prestation ».
Entreprise C : La gérante de l’entreprise de menuiserie « C » assimile la performance à la réalisation du chiffre d’affaires. En plus, une attention particulière est accordée à sa relation avec l’Etat, précisément la direction générale des impôts.
Entreprise D : La performance pour moi en tant que dirigeant d’un hôtel c’est avoir un taux d’occupation des lits d’au mois 70%, de pouvoir entretenir de bonnes relations avec les agences internationales de réservation telles que bookking.com, avail pro, etc. de plus c’est avoir une bonne réputation sur le marché et un feedback des clients positifs.
Entreprise E : La performance c’est la réalisation de l’objectif, La satisfaction du client, L’augmentation de la part commerciale dans le marché et le coté social
Entreprise F : La performance en un mot c’est le sérieux. Autrement, c’est Grâce au sérieux de nous en tant que propriétaire-dirigeant vis-à-vis de nous clients, et grâce au sérieux des nos collaborateurs dans l’accomplissement de leurs responsabilités et tâches nous arrivons à mieux satisfaire nous attentes, celles de nos clients et nos collaborateurs et honorer les engagements vers nos partenaires (fournisseurs, banquiers, impôts).
En synthèse des différentes perceptions de la performance présentées ci-dessus, nous pouvons dire que résultats des six entretiens corrobore aux énoncés théoriques considérant la performance comme une affaire de perception et qui dépend, entre autres, des caractéristiques individuelles, culturelles et entrepreneuriales du propriétaires-dirigeants.
5.2. Des facteurs tant endogènes qu’exogènes
Les facteurs explicatifs de la performance, eux aussi, différent d’un cas à un autre.
Entreprises |
Perception formulée |
A |
La performance de notre cabinet est liée à l’image et la notoriété que nous avons pu construire depuis le démarrage de notre activité. Elle s’appuie également sur la bonne relation que nous entretenons avec les confrères, l’Etat et le personnel. En plus, notre rigueur professionnelle et la volonté de faire les choses dans les règles de l’art font que nous sommes présents sur le marché jusqu’à présent avec un portefeuille client assez important. L’importance que nous accordons à la pérennité explique nos investissements dans des facteurs de performance à long terme. D’ailleurs, aujourd’hui nous sommes dans la phase de transmission de notre activité à une nouvelle génération. J’insiste sur le fait que la notoriété est source de pérennité |
B |
Le client, est pour moi, une clé de succès. C’est pour cette raison que j’investis beaucoup de temps pour les satisfaire. Je suis toujours à coté de mes clients, en train de discuter avec eux jusqu’à une heure tardive le soir. En plus, j’essaie d’être toujours à souriante et l’écoute des mes collaborateurs. Car cela influence leurs comportements lors de l’exécution de la prestation. A coté de ces deux variables, je pense que la saisonnalité de notre activité joue beaucoup sur le chiffre d’affaire à réaliser. Heureusement, nous n’avons pas énormément de charges fixes qu’il faut supporter de cas de basse saison. |
Entreprises |
Perception formulée |
C |
La qualité et le délai sont les deux clés de la performance dans notre secteur. C’est pour cette raison, même si l’entreprise date depuis longtemps, je déploie des efforts personnels (assister aux conférences de la chambre de commerce et d’industrie, des entretiens avec des amis et proches) pour suivre les nouvelles tendances et assurer la formation continue du personnel (certains Maalmias ont été recruté par mon père, il y a des années). Toutefois, je ne bénéficie pas des formations assurées par l’OFPPT. Ces formations sont destinées aux entreprises habituellement bénéficiaires. La qualité des produits fait l’objet d’un suivi quotidien ; le suivi du travail de A à Z est le secret de notre pérennité. En outre, une bonne relation avec la direction des impôts est aussi importante. Pour cela, je veille au respect des délais et déclarer les sommes dues pour ne pas tomber dans une erreur fiscale, dont le redressement peut coûter cher à mon entreprise. |
D |
Notre performance s’explique par la bonne prestation que nous accordons à nos clients : un accueil chaleureux, des locaux propres et calmes. En plus, la position géographique de notre établissement est un facteur de succès.
Les mesures fiscales pour notre secteur sont aussi importantes pour faire plus d’investissement |
E |
La performance de notre entreprise est liée : primo, à notre politique commerciale basé sur la couverture du territoire national via des points de ventes. Secundo, au style de management basé sur la gestion budgétaire ce qui permet une optimisation des ressource et leur bonne allocation. Et finalement, à notre équipe de travail, dynamique, jeune, innovante et qui est toujours à l’écoute des besoins de nos clients. |
Entreprises |
Perception formulée |
F |
Les facteurs de réussite de notre société sont essentiellement : la compétence des artisans « maalmias », la situation du marché et les moyens financiers et matériels |
Les conclusions que nous pouvons tirées de ces représentations peuvent être classées en trois catégories :
- La performance des PME est centrée sur les caractéristiques du propriétaire-dirigeants. Ce dernier joue un rôle majeur dans la définition des facteurs à prioriser dans le
- Les ressources humaines sont un facteur déterminant dans la performance des La majorité des propriétaires-dirigeants rencontrés ont souligné l’impact positif ou négatif que peut jouer le personnel dans la réussite de l’entreprise.
- L’environnement externe est souvent apprécié comme une menace à la quelle il faut faire face et non pas une opportunité à saisir.
5.3.Des outils moins formalisés et des indicateurs financiers
Si la comptabilité générale est une obligation comptable à la quelle doivent répondent toutes les entreprises, conformément à la loi 9-88, elle demeure moins utilisée par les PME étudiées en tant que système d’information comptable qui sert à piloter leur performance. Ce constat s’expliquer par le fait que toutes les entreprises étudiée, sauf la PME « D », ont procédé à l’externalisation de la tenue de leur comptabilité à des fiduciaires. Bien sur, ce qui est problématique ce n’est pas l’externalisation de la comptabilité, mais plutôt la faible importance accordé à ce système. D’ailleurs, le rôle des propriétaires-dirigeants se limite à la signature des états de synthèse de fin d’année, sans aucun effort de demander aucune explication ou information sur un compte particulier.
L’entreprise « D » est, par contre, tiennent sa comptabilité générale en interne. A cet effet, elle a recruté, en plus des deux techniciennes chargées de la saisie des opérations comptable, un responsable administratif et financier et un contrôleur de gestion. Aujourd’hui, l’entreprise a investi dans le système d’information intégré SAGE. L’objectif est d’informatiser déjà ce qui se fait dans les différents départements de l’entreprises (financier, commercial, production, logistique) et faciliter le traitement des informations et l’édition des tableaux de bord. L’entreprise dispose d’un budget de trésorerie sur trois ans. Il fait l’objet d’un suivi, à travers des tableaux de bord mensuels, et d’une révision annuelle lors de la réunion annuelle pour l’élaboration du budget. L’ensemble de ces outils implantés sont suivis par le propriétaire-dirigeant.
La comptabilité générale de l’entreprise « A » est externalisée. Toutefois, l’architecte a mis en place des tableaux de bord pour le suivi de l’exécution de chaque marché. Quant à l’entreprise « B », grâce à sa formation initiale (Master IGA), la gérante tient la comptabilité de son Riad. Pour des tâches complexes, elle demande l’assistance de ces amis (Tenue des inventaires). En outre, elle est toujours présente au riad (hébergé au sein du riad) pour garantir une meilleure hospitalité de ces clients. Pour la PME « C », la gérante, diplômée bac+1 en biologie, a opté pour le recrutement d’un comptable pour tenir la comptabilité de l’entreprise. De son coté, elle veille, à travers la supervision directe, sur la production des biens de qualité.
Conclusion
Ce travail exploratoire a des contributions aussi bien théoriques que pratiques et soulève des pistes pour des futurs travaux sur la performance des PME marocaines. Sur le plan théorique, ce travail a contribué à l’enrichissement de la recherche sur les PME marocaines en s’appuyant sur les représentations des propriétaires-dirigeants. L’intérêt pratique de cette recherche consiste à la sensibilisation des pouvoirs publics sur l’importance de la formation des propriétaires-dirigeants, puisqu’ils constituent le cœur des PME. Certes, le présent travail, ne fournit que l’image de quelques PME, qui ne peuvent en aucun cas représenter la population des PME marocaines. Toutefois, nous estimons intéressant une étude quantitative assez large pour dresser une cartographie des facteurs favorables et défavorables à la performance des PME.
Références
- Meunier , (2007) PME : les stratégies du succès, guide d’analyse stratégique, Dunod
- Bentaleb et Louitri A, (2011) « La construction de la croissance des PME au Maroc », Management & Avenir, vol 3, n° 43, p. 77-81
- Bergeron H, (2000), Les indicateurs de performance en contexte PME, quel modèle appliquer?, 21ème CONGRES DE L’AFC
- Boisselier et al, (2013), contrôle de gestion, Vuibert
- Boukar H et Soukiwai B., (2015), Influence de la proximité familiale du dirigeant sur la rémunération des salariés au sein des PME camerounaises, Question (s) de management, vol 2, n°10, pp.23-34
- Bounfour A, (2011), « Le capital organsiationnel : principes, enjeux, valeur », Spring science & Business Media
- Bourguignon A. (2000), « Performance et contrôle de gestion », Encyclopédie de Comptabilité, Contrôle de gestion et Audit, Ed. Economica, 931-941.
- Bourguignon A. (1995), «Peut-on définir la performance ? », Revue Française de Comptabilité, n° 269, juillet-août, p. 61-66.
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